Nucléaire iranien, vers une nouvelle crise internationale ?

Yves Beigbeder

Juillet 2022

Alors que l’accord de Vienne est quasi mort, la crise en Ukraine vient rappeler aux pays entourés de voisins agressifs les scenarii qui les guettent s’ils ne disposent pas de l’arme nucléaire.

1) L’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien est-il mort ?

Oui, l’accord sur le nucléaire de juillet 2015 qui devait retarder, à défaut de le stopper le programme nucléaire militaire iranien, est mort à 95%. Mais les Occidentaux qui doivent déjà gérer une crise internationale majeure avec la guerre russe en Ukraine ne veulent pas le dire publiquement.

Officiellement les sources diplomatiques européennes affirment que la « fenêtre se referme » et « qu’ils ont le sentiment clair que nous sommes à la limite de ce qui est tenable ». Pourquoi ? Parce que l’Iran possède suffisamment d ’uranium enrichi à 60% pour pouvoir fabriquer une bombe nucléaire quand les autorités politiques le décideront. Le moment du » break-out », qui désigne le temps restant avant que l’Iran soit capable de confectionner sa première arme atomique est désormais réduit à quelques semaines ou peut-être même une dizaine de jours, selon certaines sources.

Depuis que Donald Trump a retiré les Etats-Unis du « Joint comprehensive Plan of Action » (JCPOA) en 2018, les Iraniens ont violé une à une toutes ses dispositions et ont donné un coup d’accélérateur à leur programme nucléaire. Ils ont installé de nouvelles cascades de centrifugeuses IR 6, les plus modernes. Ils ont refusé de faire la lumière auprès de l’agence onusienne sur des matières fissiles non déclarées découvertes par les inspecteurs sur plusieurs sites. Depuis février 2021, ils ne fournissent plus les informations recueillies par les caméras installées par l’AIEA, l’agence internationale de l’énergie atomique sur leurs installations. Ils en ont même récemment désactivé certaines. C’est le directeur du gendarme mondial du nucléaire Rafaël Grossi qui le dit : cette décision qui rendra l’agence aveugle aux progrès nucléaires iraniens, pourrait porter un coup fatal aux négociations.

2) Une solution diplomatique est-elle encore possible ?

Officiellement, l’accord finalisé le 4 mars 2022 par les négociateurs est toujours sur la table : il est encore viable, affirme une source diplomatique. Mais dans les faits, il est sans doute trop tard pour empêcher que l’Iran ne devienne un pays du « seuil nucléaire » ; ou de lui faire renoncer à ce seuil s’il l’a déjà atteint. Les avances spectaculaires du programme nucléaire iranien dont certaines comme les connaissances acquises, sont irréversibles, ont en outre vidé le JCPOA de sa substance et font disparaître la plupart de ses bénéfices.

L’accord international qui déjà à l’époque était imparfait n’est plus qu’une pâle copie de ce qu’il était en 2015. Et de toutes façons, ses principales dispositions sont censées tomber en 2023.

Les diplomates européens qui négocient d’arrache-pied depuis 2003 pour freiner l’avancée iranienne vers la bombe, veulent encore croire qu’un nouvel accord, même signé in extremis permettrait d’allonger le temps du break out de quelques mois. Faible compensation rendue par ailleurs peu probable par le contexte international. Depuis la guerre en Ukraine, la Chine et la Russie, co-signataires du JCPOA, sont d’avantage mobilisées pour acheter du pétrole à l’Iran que pour freiner son programme nucléaire. Au début de la guerre, la Russie a pris en otage le JCPOA pour contourner les sanctions occidentales.

Puis les Etats-Unis et l’Iran ont eu un désaccord à propos des Gardiens de la révolution que Téhéran exige qu’ils soient retirés de la liste des organisations terroristes. Aujourd’hui, de nouveaux blocages empêchent toute avancée. Téhéran dit aussi attendre le résultat des élections de mi-mandat en novembre prochain aux Etats-Unis qui pourraient voir le retour de Donald Trump. Au fur et à mesure qu’approchent les « mid-terms » il sera sans doute de plus en plus difficile pour Joe Biden de faire passer un accord au Congrès. Les Occidentaux aujourd’hui affirment ne pas avoir réellement de “plan B”. Si ce n’est une aggravation de la pression et des sanctions, qui jusque-là n’ont pas produit de résultats. La dernière résolution adoptée le 9 juin par le Conseil des gouverneurs de l’AIEA, à une grande majorité, malgré l’abstention de la Chine et de la Russie n’a pas eu d’impact sur Téhéran.

3) Une option militaire est-elle envisageable ?

Oui, en théorie. Aux Etats-Unis, démocrates comme républicains ont toujours affirmé qu’ils n’autoriseraient jamais l’Iran à avoir la bombe nucléaire. Washington, qui n’a jamais exclu l’option armée, en cas d’échec de la diplomatie et en dernier recours, pourrait mener des frappes contre les installations iraniennes plutôt que de risquer une nouvelle crise de prolifération nucléaire. Mais, là encore, aucune garantie de succès, car personne ne peut certifier à 100% que les Iraniens n’ont pas construit des installations souterraines clandestines alors qu’ils voulaient concentrer leurs forces politiques et militaires dans le Pacifique. Et les Américains n’ont guère envie d’ouvrir un nouveau front au Moyen Orient, alors que le temps file et désormais chaque minute compte. Et comme l’a dit récemment Robert Maley, le négociateur américain : « L’Iran peut aujourd’hui produire potentiellement assez de matière fissile pour une bombe avant que nous puissions le savoir et l’en empêcher ».

Israël est aussi sur le qui-vive. Contrairement à l’époque de Benyamin Netanyanou, qui brandissait la menace d’une intervention militaire, le nouveau pouvoir semble avoir choisi, pour faire face à la menace nucléaire iranienne de renforcer son alliance stratégique avec les Etats-Unis et d’approfondir ses relations avec les pays du Golfe, tout en renforçant bien sûr ses capacités militaires. La plupart des dirigeants israéliens ont déclaré qu’un Iran au seul nucléaire étaient pour eux une ligne rouge. En attendant, la guerre de l’ombre a déjà commencé.

L’administration américaine a confirmé qu’Israël avait mené des opérations secrètes à l’intérieur de l’Iran au cours des derniers mois. Des cadres du régime ont été assassinés. Des morts suspectes ont aussi été répertoriées dans les rangs des gardiens de la Révolution très impliqués dans le programme nucléaire militaire de l’Iran.

Israël a aussi bombardé les pistes de l’aéroport de Damas en Syrie, affirmant que le terrain servait de plaque tournante aux Livraisons d’armes pour le Hezbollah, l’allié régional de l’Iran. Craignant des représailles contre ses ressortissants en Turquie, le ministre de la défense Benny Gantz a prévenu qu’une « riposte de grande ampleur était prête en cas d’attaque iranienne.

4. Quelles seraient les conséquences d’une bombe iranienne pour la région ?

Elles seraient très importantes, même si l’Iran restait « au seuil » ou demeurait dans l’ombre en adoptant comme Israël, une politique « d’ambiguïté nucléaire » . Avec cette épée de Damoclès, l’Iran pourrait rendre sa politique étrangère au Moyen Orient encore plus agressive, ses alliés régionaux, le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien disposant du parapluie nucléaire iranien. Les spécialistes redoutent aussi une crise de prolifération majeure dans la région, où plusieurs pays sunnites, notamment l’Arabie saoudite, mais aussi la Turquie, pourraient à leur tour se lancer dans l’aventure nucléaire pour préserver l’équilibre face à l’Iran chiite.

Depuis plusieurs années, l’Arabie saoudite et l’Iran se disputent le leadership du Moyen Orient à travers des guerres de procuration. Nul doute que l’exemple ou plutôt le contre-exemple ukrainien, a été entendu non seulement par l’Iran, mais aussi par tous les Etats de la région. Juste après son indépendance après la chute du mur, l’Ukraine avait accepté, sous la pression de Moscou et de Washington de renoncer à son arsenal nucléaire, hérité de l’URSS en échange, le mémorandum de Budapest signé en 1994 devait garantir de la part des Etats-Unis, de la Russie et du Royaume-Uni, la souveraineté et l’intégrité de son territoire.

Cet engagement est depuis parti en fumée deux fois : en 2014 avec l’’annexion de la Crimée, puis en février 2022 avec la guerre lancée contre l’Ukraine par la Russie. On voit bien ce qui arrive aux pays entourés de voisins agressifs quand ils ne disposent pas de l’arme nucléaire. La terrible expérience ukrainienne n’est pas de nature à ralentir la prolifération nucléaire dans le monde en général et au Moyen Orient en particulier (LE FIGARO, 27 juin).